D'OÙ VIENT L'EAU DES FOULES

Nous allons maintenant essayer de répondre à cette question devenue classique à St-Claude, question qui a fait couler des flots de paroles et d'encre d'imprimerie, et qui a donné lieu parfois à des suppositions pour le moins fantaisistes.

Dans son ouvrage sur les cavités jurassiennes, le regretté professeur Fournier, situe l'origine de l'eau des Foules dans les puits et dolines du Plateau des Eterpets et principalement à la dépression de l'Engouteilla à droite de la route de Lamoura / Haut-Crêt : Effectivement, dans cette zone d'effondrement, les dolines se touchent et les gouffres absorbants, dont la profondeur varie de 2 à 30m, sont nombreux. Le Spéléo-Club a exploré les principaux, aux Célarys (30m), à la Chaux-Berthod (28m), à l'Engouteilla (16m) pour les trouver comme d'usage, colmatés par des amas de pierres, de baliveaux et de cochons crevés. Il ne fait aucun doute que toute l'eau de pluie et de fonte de neige qui déferle dans ces bas fonds gagne le réseau des Foules par les voies les plus directes et contribue en grande partie à l'alimentation du torrent… Et en conséquence, à celle de la Ville de Saint-Claude.

Cependant, au cours des deux mois et demi de sécheresse de l'été 1949, nous avons remarqué avec surprise que le torrent des Foules a continué à débiter très régulièrement 8m3 à la minute et n'a pratiquement pas varié de volume pendant tout l'été. Les trois mois de sécheresse de l'année 1952 n'ont pas paru l'affecter davantage… Or, pendant ces deux périodes, la dépression des Eterpets était positivement calcinée et ne pouvait de toute évidence fournir le moindre apport à la grotte. Il fallait donc trouver une explication à ce phénomène qui n'avait pas été remarqué par M. Fournier, car si l'on consulte son rapport, on apprend que lorsqu'il visita les Foules en 1903, la pluie tombait si abondamment que la grotte était impénétrable, et vu cette circonstance, la thèse de la Combe des Eterpets paraissait ne faire aucun doute.

Nous nous sommes donc attelés à la résolution de ce nouveau problème, et depuis trois ans, avec patience et persévérance, l'un ou l'autre des membres du S.C.S.C. a noté presque chaque semaine le niveau de l'eau et sa température. Nos observations nous ont amenés à faire des constatations curieuses.

1) A l'étiage, il passe dans la grotte des Foules une quantité d'eau à peu près constante quelle que soit la sécheresse en surface. La température de cette eau est elle aussi constante et ne s'élève jamais au dessus de 6° ce qui indique qu'elle parcourt sous terre un long trajet.

2) Lorsqu'une crue vient à se produire, l'eau monte très rapidement. Le niveau commence à monter dans la grotte 10 heures environ après une forte pluie sur le plateau et le maximum est atteint 6 heures plus tard. La température de l'eau varie également et peut atteindre 12° en temps de pluie orageuse ou descendre à 2° au moment de la fonte des neiges. Un fois le beau temps revenu, le niveau maximum se maintient très longtemps, parfois 5 à 6 semaines cependant que la température de l'eau revient se stabiliser au bout d'une dizaine de jours aux environs de 6°.

La persistance de la crue a d'autant plus retenu notre attention que nous possédons aux environs immédiats des Foules deux bases de comparaison : les cascades du Flumen et la Résurgence de la Douveraine dont les surfaces absorbantes nettement délimitées par des accidents géologiques sont identiques en superficie et en nature au plateau des Eterpets. Nous avons pu nous rendre compte qu'aussitôt les pluies et fontes terminées ces résurgences donnent des signes de décrue et tarissent à bref délai alors que le torrent de Foules débite encore à plein bord.

La conclusion parait donc s'imposer d'elle-même. Le torrent est grossi par un premier afflux venant des Eterpets et sa crue est ensuite entretenue par une série d'autres afflux lointains arrivant successivement. Leur parcours est suffisamment long pour permettre à l'eau de prendre la température du sous-sol.

Mais alors un autre problème se pose : où se trouve la zone absorbante lointaine qui fournit l'eau d'étiage ? Nous répondrons sans hésitation : "Dans les forêts du Doubs méridional et spécialement du Risoux. Géologiquement c'est la seule thèse soutenable, car si la route souterraine des glaciers des Alpes est, et demeure, mieux coupée que la route du fer de célèbre mémoire, il n'y a aucune impossibilité de relations souterraines entre le Risoux et les Foules sous les plateaux des Rousses et de Bois d'Amont. Une pareille superficie est d'ailleurs capable de fournir plus d'eau qu'il n'en reparaît en surface et un massif granitique de même étendue donnerait sûrement naissance à des rivières plus volumineuses et plus régulières que le Doubs et l'Ain dans leur cours supérieur. La résurgence des Foules aurait donc en partie la même origine que ces deux cours d'eau.

Une dernière observation est venue emporter nos derniers doutes à cet égard. Il existe dans le torrent des Foules un petit crustacé : le Nyphargus Orcini Virei, sorte de crevette aveugle et translucide longue de 2 à 5 centimètres. Or la grotte des Foules est la seule de tout le Jura san-claudien à abriter cette variété de niphargus dont la zone d'extension méridionale est nettement limitée, dans notre région, aux derniers plateaux du Doubs. Toutes les autres cavités environnant Saint-Claude ne nous ont livré jusqu'à présent qu'un de ses proches parents : le Nyphargus Laugicaudatus Rhénorhodanensis qui est ici dans sa zone d'extension septentrionale. Comme ces crustacés ne peuvent vivre et se déplacer que dans l'eau froide des cavernes, ce ne peut être que l'eau qui a amené jusqu'aux Foules cette colonie insolite à pareille latitude. Et c'est ainsi qu'une misérable bestiole, aveugle de surcroît, vient apporter la lumière dans une question où tant d'hypothèses ont été accumulées.

Quant à tracer sur une carte le trajet souterrain du torrent nous en sommes incapables et ce n'est pas la modeste avance de 2,4 kilomètres sous le massif qui peut nous renseigner beaucoup. Nous citerons avec toutes réserves l'opinion de plusieurs sourciers de bonne foi, qui prétendent qu'à 200 mètres sous la Combe de Mijoux, circule un gros fleuve souterrain dont le torrent des Foules ne serait qu'une dérivation. Le niveau indiqué est bien celui d'une couche de marnes imperméables, mais on ne saurait faire état dans un raisonnement scientifique de données essentiellement subjectives. On notera cependant que nous avons reçu d'un de nos collègues de Genève, l'assurance que les Services Géographiques Suisses ont suivi en 1951, au moyen de détecteurs, un gros cours d'eau qui prenant sa source dans le sous-sol du Jura Bernois s'enfonçait graduellement pour devenir indétectable à 1200 mètres sous le lac de Constance. Rien ne s'oppose à priori, à l'existence d'une nappe semblable sous le versant Sud du Jura. Les circulations entièrement souterraines qui vont aboutir à des distances insoupçonnées, sont d'ailleurs une nécessité pour expliquer que la chaîne du Jura ne restitue par ses sources et résurgences qu'une faible partie de l'eau qu'elle reçoit des nuages.